dimanche 3 novembre 2024

Mystère à vendre

      
    Dans la rue passante, un homme sandwich portait sur ses épaules l’affiche suivant :

Nouvel arrivage de sambuques
Découvrez le séidisme
et les vertus de la ribote

    Nous marchions en sens opposé ; moi, vers la grande place, lui vers les boulevards. J’avais lu en diagonale son annonce, tracée en grosses lettres bleues. Sans le vouloir, les mots "sambuques", "séidisme" et "ribote" me trottaient dans la tête. Qu’étaient-ce que ces sambuques, ce séidisme et cette ribote ? Je restais sourd au bruit ambiant de la foule. J’étais aveugle aux autres sollicitations publicitaires.

    Je ne pensais qu’à la sambuque, au séidisme et à la ribote.

    Pourquoi étais-je obsédé par ces mots ? Je n’en connaissais pas la signification, mais ils me semblaient familiers. J’avais dû les lire ailleurs ; peut-être dans un roman, ou bien dans une revue. Leur sonorité ne m’était pas tout à fait étrangère.

    "La sambuque, ça doit être une essence tropicale de plante capable de synthétiser je ne sais quelle molécule dont la phytothérapie fait grand cas. Quant au séidisme, c’est à tous les coups une nouvelle branche du développement personnel. Pour ce qui est de la ribote… la ribote… Un plat en sauce ? Non. Tout ça n’a aucun sens. Pourquoi cette annonce ? Pourquoi ce charabia ? D’habitude, la publicité est d’une bêtise abyssale et aujourd’hui, on me propose de la sambuque, des stages de séidisme et de la ribote..."

    Je fis demi-tour, bien décidé à retrouver ce charlatan pour connaître le fin mot de cette histoire. Je pris la foule à contre-sens, cherchant des yeux mon homme-sandwich en répétant, mâchoire serrée, le mot "sambuque" comme on rumine un juron.

    Arrivé aux boulevards, j’aperçus mon homme, adossé au mur. Il avait posé à côté de lui sa grande pancarte et buvait de l’eau à sa gourde. Je m’approchai pour lire une seconde fois le slogan publicitaire. J’espérais l’avoir mal lu. Après tout, ces mots étranges, je les avais peut-être inventés.
    Non. Il était toujours question de sambuque, de séidisme et de ribote. L’homme sandwich but une dernière gorgée, s’essuya la bouche d’un revers de la main et me lança :

– Alors ? Intéressé ?

– Par quoi ? Je ne comprends rien à votre affiche.

– Si vous ne l’aviez pas comprise, vous ne seriez pas venu me voir. Vous vous intéressez à la ribote ? me dit-il en clignant de l’œil.

– Qu’est-ce qu’une ribote ?

– Ah ! Je vois... monsieur, préfère peut-être parler du séidisme.

– Oui, ou bien de la sambuque. Je ne sais pas non plus ce que c’est.

– C’est vrai qu’on n’en voit plus beaucoup de nos jours. Elles sont à vendre, mais je n’ai pas d’exemplaire de démonstration à vous montrer. Je porte déjà beaucoup de choses sur mes épaules. Je me contente de faire de la réclame. Il faut d’ailleurs que j’y retourne, ma pause est terminée. Bonne journée.

    Il repartit, affublé de sa grande affiche. Il était déjà loin quand, les mains en porte-voix, je lui criai : "Où peut-on les acheter vos choses ? Pour qui travaillez-vous ?" Il se retourna et fit un geste assez vague d’un air un peu amusé qui signifiait "ici ou là" puis disparut dans la foule.

    De retour chez moi, je fis des recherches. Ces mots avaient bien un sens, mais la publicité n’en avait aucun. Même en connaissant la définition de sambuque, de séidisme et de ribote, la phrase de l’annonce ne voulait rien dire.

    Évidemment, pas un seul magasin, pas un seul revendeur, pas une seule boutique ne vendait de la sambuque, des cours de séidisme ou même de la ribote.

    Le mystère s’épaississait.

    Je passai une nuit épouvantable, retournant et retournant sans arrêt le problème dans tous les sens. Près de mon lit, j’avais ouvert une douzaine d’usuels – dictionnaires, encyclopédies et traités sur l’histoire de la langue – pour essayer de trouver le lien qui unirait ces trois mots. Après des heures de recherche, je n’étais pas plus avancé.

    J’étais au désespoir.

    Je ne voyais plus qu’une seule solution pour me libérer de ce problème insoluble.

    Le lendemain, je ressortis pour remonter la rue, des grands boulevards jusqu’à la place, en arborant une grande enseigne où j’avais écrit ces mots :



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