mardi 13 décembre 2022

Désamour en cage


        J’ai trouvé un manuscrit ce matin en jardinant. Il était dans la haie. J’en traduis l’essentiel :

        « Les chances de sortir de cette prison sont infimes. Cela fait bientôt trois jours que nous sommes enfermés dans une vaste prison lumineuse où nous étouffons.

        Notre cellule fait 30 mètres de long sur 15 de large. Les parois, faites d’une matière translucide et trouble, sont hautes de 15 mètres au moins. Elles sont impossibles à escalader et quand bien même on y arriverait, le plafond, qui est gigantesque, n’offre aucune issue. L’intérieur de notre geôle est vide autant qu’il est spacieux et nu. Pour seul décor, j’ai mes camarades codétenus qui croupissent comme moi.

        Nous sommes une petite dizaine. Nous avons appris à nous connaître durant ces trois jours, mais dans la peur et l’appréhension. Ici, la méfiance règne. Certains sont devenus fous, d’autres sont malades et n’en ont plus pour très longtemps à vivre. Les cris, les gémissements résonnent dans l’habitacle. J’ai dit qu’il n’y avait aucun meuble ; nous dormons et nous nous asseyons à même le sol qui est d’ailleurs fait de la même matière que les murs : translucide et trouble.

        Même si nos geôliers nous donnent de quoi boire et de quoi manger, nos existences sont précaires à cause des mauvaises conditions de vie. Comme rien n’est jamais lavé, l’hygiène devient déplorable et, bien sûr, l’intimité n’existe pas.

        Les jours se suivent et se ressemblent. Nous ne savons pas combien de temps durera notre réclusion. Le temps est aboli. Nous flottons entre des parois qui ne sont ni des vitres ni des murs, mais l’un est l’autre à la fois. Je ne me figurais pas l’enfer comme ça, il est d’une clarté terrible. En arrivant ici, je me croyais tout à fait vivant, maintenant, je commence à en douter. Quel jugement attendons-nous ici ? Et pour quel crime ?

        Tout à l’heure, nous avons cru mourir. Notre prison de cristal a bougé dans tous les sens. Des formes vagues et gigantesques passaient à toute vitesse derrière nos murs transparents. Le plafond s’est ouvert. Nous avons vu le ciel et une forme énorme. Nous nous sommes tenus prostrés, autant par peur que par un sentiment sacré qui nous glaçait le cœur et les os.

        Aujourd'hui, l’ennui, la détresse et la promiscuité.

        Quelques jours ont passé. La vie est intolérable. Les dieux (ou les démons ?) lâchent au-dessus de nos têtes une quantité invraisemblable de nourriture après des journées entières de jeûne. Cela fait un boucan du tonnerre et deux codétenus se sont retrouvés ensevelis. Nous les avons sauvés en grattant dans la nourriture que nous mangions simultanément tant la faim nous tiraillait.

        L’heure des repas est complètement anarchique. La pitance tombe du ciel de jour comme de nuit. Notre plus grande frayeur est de périr étouffé sous elle, en plein sommeil.

        Le résultat de cette administration des repas, c’est que nous mangeons dix fois trop sans parvenir à épuiser le monticule de nourriture qui finit invariablement par pourrir et devenir infectieux.

        Les dieux (les démons ?) s’amusent-ils à nous voir périr dans nos déchets ? On voit parfois des formes immenses et vagues passer derrière les cloisons troubles de notre prison.

        Deux semaines ont passé. Nous avons déjà enterré quatre des nôtres. Ou plutôt veillés, car il n’y a nulle part où creuser pour ensevelir nos morts. Le sol est aussi lisse et dur que les parois quoiqu’il commence à se couvrir de salissures.

        Notre prison est une fournaise depuis ce matin. Aucune ombre. Seulement un soleil gigantesque qui nous anéantit. La température ne cesse de grimper. L’insolation nous guette.

        Les dieux (les démons ?) viennent de nous verser des milliers de litres d’eau sur la figure. Mon journal est trempé mais nous sommes sauvés : nous avons pu étancher notre soif avant que l’eau ne touche le sol et devienne impropre à la consommation.

        Désormais, notre prison est une gigantesque flaque boueuse. Une buée, épaisse comme un brouillard, a envahi toute la cellule et nous sommes toujours en plein soleil. C’est dans un climat tropical étouffant que nous survivons. Pour l’instant, afin d’avoir les pieds au sec, nous nous sommes installés sur le tas de nourriture qui forme une île.

        Le soleil vient de se coucher. La température chute doucement et redevient supportable.

        C’est épouvantable. Deux des nôtres viennent de périr de dysenterie. Notre prison est un cloaque ignoble. A défaut d’autre chose, nous nous couvrons le visage avec les vêtements des défunts pour éviter de respirer les miasmes.

        Nous sommes sauvés ! Après de terribles secousses qui ont ébranlé notre prison et ramenés à la vie ceux que je croyais morts, et qui n’étaient que plongés dans le coma, nous avons atterri dans une jungle épaisse ; sains et saufs mais surtout libres !

        Nous avons repris des forces dans ce qui s’avère être un paradis d’abondance. Il y a des fruits, de l’eau pure et nous avons enfin pu dormir à l’abri de fourrés moelleux. Ce nouvel air salubre est infiniment bon à respirer. Nos cœurs débordent de joie et de reconnaissance. Nous voici enfin libres après ce si long séjour d’épreuves inhumaines.

        Nous avons élevé des totems en terre et des étendards fabriqués avec des branches de saules et des lianes pour glorifier les dieux. Louons-les ! Nous avons triomphé des démons et de leur enfer grâce à l’espoir et au courage qu’ils ont su nous insuffler.

        Nous partirons demain vers le sud, constatant qu’il est peut-être plus prudent de ne pas rester trop longtemps sur le territoire des dieux. N’abusons pas de leurs bonnes grâces.

        J’abandonne ces feuilles ici. Puissent-elles édifier ceux qui les trouveront. Gloire aux dieux et à leur infinie bonté ! »


        Voilà ce que contient le manuscrit. C’est un rouleau minuscule, une petite pelure de papier de la taille d’un ongle. L'écriture est en pattes de mouche. J’ai dû la déchiffrer lettre après lettre à la loupe.

        J’ai appelé ma fille pour lui passer un savon.

— J’ai vu ce que tu as fait dans le jardin, c’est très mal tu sais.

— Qu’est-ce que j’ai fait ?

— Tu le sais parfaitement. J’ai retrouvé ton terrarium renversé dans la haie et je sais que tu as fait horriblement souffrir les petites bêtes de ton élevage.

— Mais je les ai relâchées quand ils ne mangeaient plus. Ce n’est pas de ma faute s’ils ne bougeaient plus trop à la fin…

— Tu t’en occupes très mal. Combien de fois t’ai-je dit de ne pas laisser ton terrarium en plein soleil et de nourrir tes animaux quotidiennement mais par petite quantité et à heure fixe ? Tu leur as mis dix fois trop d’eau, tu aurais pu les noyer.

— Je n’ai pas fait exprès.

— Je m’en doute, c’est comme la dernière fois avec ton couple de baleines, tu les as gavées de plancton puis tu les as sorties de leur aquarium. Résultat, je les ai trouvées échouées sur la terrasse.

— Elles s’ennuyaient !

— Ne dis pas de bêtises ! Et puis tu sais très bien que ces bêtes-là, les hommes, sont sensibles et assez intelligents pour comprendre beaucoup de choses. Tu veux lire le petit texte que l’un d’eux a écrit et que j’ai retrouvé au fond du jardin ?

— Je ne sais pas lire l’humain.

        Puis ma fille s’est mise à pleurer. J’avais peut-être forcé la dose.

— Viens. Ne pleure plus. Je vais te montrer les petites constructions qu’ils ont faites pour toi. Tu vas voir, c’est mignon comme tout.

        Elle a ri quand je lui ai montré ces minuscules poteaux de terre colorée et ces étendards, pas plus haut que des cure-dents. Elle a demandé si c’était vraiment pour elle. Je lui ai dit que oui et, assises dans l’herbe du jardin, nous avons un peu parlé du peuple des hommes. Elle m’a dit qu’elle avait appris beaucoup de choses à leur sujet à l’école.

— On nous a dit que les hommes avaient tué beaucoup d’animaux.

— Je sais, mais ce n’est pas une raison pour les punir. La maîtresse a dû vous le dire. Maintenant qu’ils sont élevés en captivité, ils ne peuvent plus faire de mal à personne. Ce sont des animaux très sages et complètement domestiqués. Donc, nous devons être exemplaires, tu comprends ? Ce ne sont plus les bêtes sauvages et sanguinaires d’autrefois.

        Avant d’aller nous coucher, je suis allé chercher le terrarium au fond du jardin que j’ai nettoyé et rangé dans un coin. Puis, avant de fermer les volets, j’ai aperçu, à quatre ou cinq mètres des totems, ce qui correspond à une grande distance à pied pour des hommes, des points lumineux et un peu de fumée. C’est là qu’ils ont dû établir leur nouveau campement. Il est un peu tard pour appeler l’hommerie, et je n’ai pas le cœur à les déloger encore une fois. J’aime l’idée de leur laisser une petite chance. Après tout, c’est bien leur Terre que nous occupons et leur spiritualité primitive, pour ne pas dire leur superstition, m’a émue. Le dessin que ma fille a déposé sur mon oreiller y est aussi pour beaucoup dans ma décision de laisser faire : elle a dessiné un plan à leur échelle pour que les hommes puissent se repérer dans le quartier.


samedi 3 décembre 2022

Le Semainier (Novembre 2022)

Journal
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Semaine 44, 2022

L'esprit occupé de riens
Pluie vent froid pompe à essence
Des champignons dans la tonte
Taillé la laurine en boule
Bu un cosmopolitan
Jeux discussions film le soir
Conduit mon frère à la gare

Semaine 45, 2022

Flaque aux reflets bruns du charme
Rap à la tombée du jour
Dans la vitrine un sari
Agité libre et oisif
Deux veaux craintifs près d'un chêne
Des jeux du matin au soir
Bleu nuit traînée nuageuse

Semaine 46, 2022

Un pont pluie fine un train passe
Seul à mon bureau songeur
Matin frais la ville est jaune
Sur un poteau un rapace
Eclaircie sur linge humide
Peinture allongée des champs
Ciel d'huile et bosquets de brosses

Semaine 47, 2022

Lucarne en vitrail de feuilles
Temps curieux mal assorti
Trouvé ce vers sous l'averse
A Paris klaxons dès l'aube
Un brouillard de route humide
Soirée avec Rémy D.
Un pic vert dans le gazon

Vieil océan, ballade (I,9)

À Kevin Saliou                                                        Vieil océan de cristal bleu, Hématome azuré du monde Marquant la pea...