lundi 20 novembre 2023

L'ange derrière la vitre, poème à deux voix (par Bertrand Lançon et Siméon Lerouge)

L'ange derrière la vitre
(cliché : Bertrand Lançon)



De profil au carreau, l’ange est pensif :
son souffle éthéré n’embue pas la vitre,
pourtant toute nimbée
d’une étrange nuée.
Son bras n’est pas d’un séraphin oisif
mais illustre je ne sais quel chapitre
aux mots presqu’illisibles
d’une incunable Bible.

Et son cœur tendre en plâtre
bat dans son corps d’albâtre
orné de roides ailes
aussi fortes que frêles,
comme l’amant fidèle,
au-delà de l’espoir,
des Visiteurs du soir.

Lui, statue pour caveau
familial et dévot,
en ses plis de tunique
se fait évangélique
et veille tel un mage
au reflet des nuages.

Dans l’obscurité, pétrifié, crayeux,
l’ange attend le bon dieu
comme un coq le déjuc
au perchoir de son poulailler de stuc.

Dans l'obscurité, pétrifié, crayeux,

Placé là par des parents éplorés,
investi de piété désespérée,
ce n’est pas une estocade qu’il porte,
mais le bras qui protège une enfant morte.

Pâle héros d’un bâti funéraire
au geste hiératique et tutélaire,
orné de roides ailes
aussi fortes que frêles.

Dans sa pose de cire,
cet Orphée sans sa lyre,
ce Michel sans épée
aux cheveux bien peignés,
ange géant dans un petit tombeau,
séjourne immobile et pétrifié,
sentinelle de l’exigu caveau
aux lueurs d’un oculus vitrifié.

Il semble n’avoir pas
traversé la nuée
tire-d’aile bruissant,
comme téléporté
au premier son du glas
annonçant le trépas
précoce d’une enfant.

Elle est morte à quatre ans,
cette petite fille,
précisent l’épitaphe
et la sobre estampille
aux lettres érodées
du discret cénotaphe ;
si vieille cependant,
de poussière blutée
comme farine bise
à parousie promise.
 
Elle est morte à quatre ans

Ce n’est plus un corps que l’ange protège,
c’est un cercueil que la poussière allège.
Vieille enfant par sa mort
lointaine et oubliée,
pareille au grain de blé
semé dont rien ne sort.

Passants et corbillards
sont les seuls visiteurs
de ce foyer sans fleurs
blanchi par le brouillard.

Le portillon plombé
sur ses gonds se balance.
Du vieux chancel rouillé,
rompu par l’air mouillé,
au sol un fer de lance
a fini par tomber.

au sol un fer de lance

Le stuc subit l’usure
aux embruns de la mer,
écailles et griffures
le zèbrent et le lacèrent.

Son cerveau minéral
réduit par érosion
ses pensées de cristal
en tas de gravillons.

Cloîtré dans sa concession perpétuelle
tout au bout d’une allée
jonchée de blancs graviers,
sa perception du monde est conceptuelle,
non-vie, non-mort, rien ne meurt, tout demeure
ensommeillé. L’existence est un leurre.

En accents d’élégie,
ces vers sont adressés,
à la douce effigie
de l’archange élancé.
Pour lui, la poésie
ornée de roides ailes
aussi fortes que frêles,
entend faire paraître,
au voile flou du nitre
qui l’occulte en partie,
la présence des êtres
au-delà de la vitre.

L’ange est resté sur terre,
laissant sa place au ciel
à l’enfant qu’il espère

aussi forte que frêle.



    Ce poème est né d’une connaissance commune, celle du cimetière Saint-Martin de Brest ; celle de ses tombes anciennes qui, dit Siméon, semblent tanguer devant la rade ; celle d’une chapelle funéraire dans laquelle la statue d’un ange veille sur la dépouille d’une petite fille.

    Il a été écrit à tour de rôle, d’abord par groupes de deux vers, puis par quatrains et en vers librement placés, tous hexasyllabes ou décasyllabes rimés.



© Lançon Lerouge
Mont-Saint-Jean et Coulans-sur-Gée, octobre-novembre 2023

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