mercredi 29 juin 2022

DRAGEONS, partie I : "Les Sept Derniers Jours de Brest" 1/21

Cet été, découvrez en feuilleton la première partie de mon roman DRAGEONS. Chaque semaine, deux chapitres paraîtront sur ce blog.




Notes de Pol Otenn, l’aéronaute

Le métali 28 jovial, an 26

C’est sans rire une belle soirée de fin d’étemps. La lumière rasante est chaude sous une pluie fine d’acier et, tout là-haut, plus haut que mon ballon d’observation, un arc-en-ciel fait un détour au-dessus des quartiers de Salouis et Samartin. En bas, étendue par terre, il y a Brest. La ville se fond dans le mouvement immobile des nuages et trempe sa lumière dans une eau où elle a toujours pied.

Je ne vis bien que dans son ciel, au sol j’étouffe. Ici, où le vent m’ôte pourtant l’air de la bouche, l’existence devient possible.

Brest est plane, lisse et sale. Elle n’a plus son relief d’autrefois. Qu’on la voie d’en haut ou bien d’en bas, elle offre le même spectacle mais sa forme change et les aiguilles de ses digues s’allongent selon que je me situe à la verticale (le filin de mon ballon formant un angle droit avec le sol du centre-ville) ou bien en oblique, ou même carrément au large en débordant sur la rade. Brest sue par tous ses ports. La perspective de ses murs s’étale aussi. Les remparts sont haut, mais pas autant que les falaises d’en face.

Il est tard. Les panaches de fumée noire se détachent enfin des cheminées. Le travail a cessé. Les usines ferment. Comme tous les métalis, les fonderies ont tourné toute la journée. Les coups de marteaux faisaient à cette hauteur un bruit ridicule de coup de torchon.

Dans les logements la lueur des lampes à huile cligne de l’œil tandis que la rougeur des haut-fourneaux, chauffés à blanc tout le jour, grimace sous la flotte puis s’éteint.

Brest est silencieuse et se rabougrit à mesure que je m’élève.

Son cadastre sirupeux me donne le vertige.

« Agglomération », c’est le bon mot pour ce fatras de murs et de toits.

A l’ouest, les céréales poussent dans les anciennes fondations des immeubles de Recouvrance.

Plus loin, vers l’est, l’Elorn coule par-dessus le pont de l’Iroise, effondré dans l’eau, puis passe entre les arches de l’antique pont Louppe reliant toujours Brest à Plougastel. A l’opposée le goulet, béant mais bouché par le Mulgulum de vase et de déchets océaniques.

A cette heure tardive la rade n’est plus verdâtre mais sent toujours aussi mauvais. Un marais salant moussu recouvert d’algues et d’écume pétrifiée. Les centaines d'années de pollution ont rendu la rade impraticable, mais c’est pourtant cette infâme pellicule verte qui nous fait vivre. Avec un peu d’imagination, c’est en quelque sorte notre prairie encaissée dans la vallée.

Tous les bateaux sont au port, attachés aux quais qu’ils ne quittent plus (comment pourraient-ils voguer dans cette mélasse ?) et font office de cité lacustre, entourés qu’ils sont de maisons sur pilotis. C’est là qu’on ramasse l’algue à pleine main en se penchant par-dessus bord pour en faire ensuite à peu près tout : du comestible, de la boisson et même de l’engrais. C’est l’abondance : on n’aura pas assez de toutes nos fabriques et de tous nos corps à nourrir pour épuiser cette denrée verte.

Depuis quelques temps la ville s’est payé des remparts en louant des bras pour la cause. Les murailles sont hautes autour de Salouis, le centre-ville, mais celles de la deuxième enceinte, construites sur le pourtour, sont plus imposantes encore. Brest se contracte : ce qu’elle perd en superficie, elle le gagne en hauteur de murs. La ville s’est fortifiée grâce aux vieux immeubles démantelés dont elle réutilise tous les matériaux. On se félicite d’avoir dévié le cours de la Penfeld, qui traversait Brest autrefois, pour la contraindre à nous border sur le flanc ouest. Dans l’ancien lit de la rivière, au cœur de la ville, on a planté des jardins, des potagers et même des vergers dans les bassins de l’Arsenal. Cela nous change des algues, du moins quand les récoltes sont abondantes.

Si on veut mon avis, ce ne sont pas ces gros travaux qui changeront quoi que ce soit à la progression fulgurante de la forêt venant de l’est. C’est vrai, cela nous occupe et nous donne l’illusion d’agir mais, soyons sérieux, si notre bourgmestre a fui, c’est que la situation est critique. M. Saul Acedia était connu pour son calme et son courage ; il n’a pas déserté sans raison. Certains disent qu’il est parti pour nous sauver ; d’autres, qu’il s’est donné la mort quelque part. Moi, je dirais qu’ici, dans les airs, on ne craint pas la forêt. Il suffit de prendre de la hauteur.

En fait, le ciel est mon bureau. C’est là que j’exerce mon boulot de sentinelle. Je travaille en silence avec seulement la découpe du vent dans mes cordages et le froufrou du réchaud dans le ballon. Comme on n’a plus les vagues ni les mâts, il reste ce travail de surveillance que je fais d’ailleurs assez mal étant par trop contemplatif. « Vigile aérien » c’est une profession qui a de l’avenir en ces temps incertains.

Moi, ce que j’aime ce sont les bourrasques de brumes inodores qui vous changent, un temps, des émanations de la rade, et puis ce vide immense de l’air, tout autour, que ma vue ne peut jamais combler. Même les coups de soleil par temps pisseux me vont. Cette vie dans le ciel on ne s’y habitue jamais, on s’y attache.

J’aime aussi mon ballon qui n’en fait qu’à sa tête, maintenu au sol par un filin que la milice urbaine enroule le soir venu et déroule au matin. Je suis un cerf-volant avec de l’embonpoint.

Cela dit c’est fatigant de flotter au vent les yeux ouverts toute la journée sans faire quoi que ce soit. En fin de journée j’éprouve de la sympathie pour les drapeaux, les bannières, les girouettes au sommet des clochers et leur ménagerie de fer blanc qui me font des joies quand je rentre. Eux seuls doivent me comprendre et je les comprends aussi.

Je voudrais connaître les champs lointains d’où s’évapore l’horizon. Ma patience se crève les yeux là-dessus. Ah les deux parallèles vertes et bleues de l’est… C’est de là-bas que la forêt vient, c’est là qu’il faut aller. Moi qui vois toute la forêt, je sais de quoi je parle. Ce n’est pas comme les Brestois qui vivent entourés de murs et de rumeurs et qui se croient autorisés à en parler sous prétexte qu’ils la craignent. Qu’ils tremblent, tiens ! Leurs peurs ne seront jamais aussi vastes que la réalité. 

La corde de mon aérostat trépigne et ma nacelle gémit. Je redescends doucement. C’est Brest qui me rembobine. Ses rues émergent du ciel, ses boulevards s’animent d’une vie infime et je chute encore, lentement. Tous les murs de la cité s’éloignent les uns des autres après s’être embrassés tandis que j’avais le dos tourné. La lueur du soir s’estompe à mesure que je m’enfonce dans la constellation des becs de gaz et des torches. Les toits bourgeonnent de lucarnes. Les illusions d’optique, dues à la hauteur, cessent : le spectacle de l’altitude était truqué.

Je suis tout prêt d’atterrir.

Me revoilà au sol. A peine descendu de ma nacelle, je remets mon rapport à Diogène Savète, mon supérieur. « T’as l’air crevé » me dit-il, la voix couverte par le bruit de mon ballon qui se dégonfle.


mardi 21 juin 2022

Let’s Dance, villanelle (d’après la chanson de David Bowie)

 

 
Danser dans ses pas la transe
D’un tube entendu partout.
Quand bat son plein la cadence
 
Stroboscope et flash d’ambiance
N’ont pas le feu de ses joues.
Danser dans ses pas la transe !
 
Pas un baiser d’excellence
Ne vaut sa main sur mon cou
Quand bat son plein la cadence.
 
Les sens en effervescence
Il faut, fou parmi les fous,
Danser dans ses pas la transe.
 
Sans dire un mot, la romance
Se poursuit dans nos cœurs saouls
Quand bat son plein la cadence.
 
S’en tenir à l’innocence
Des sentiments et, surtout,
Danser dans ses pas la transe
Quand bat son plein la cadence.

samedi 11 juin 2022

Le Pont, rondel

À mon frère, Anatole


De rive en rive un éventail
De bois, de pierre ou de béton
Déploie sa structure en ferraille
Par-dessus fleuve et fossé. Pont

Qui s'élance inerte, en tenaille
Sur les bords comme un trait d'union,
De rive en rive en éventail
De bois, de pierre ou de béton.

Force à l'équilibre au travail,
Statue d'élan prise au rebond,
Ricochet d'arc en suspension
Qu'un tirant d'air et d'eau tiraille
De rive en rive en éventail.

Au clair de la lune, pantoum (I,8)

  Au clair de la lune Loin dans la campagne L’ombre est jaune et brune Et la peur vous gagne Loin dans la campagne La nuit geint, maussade E...