jeudi 8 septembre 2022

DRAGEONS, partie I : "Les Sept Derniers Jours de Brest" 21/21

Cet été, découvrez en feuilleton la première partie de mon roman DRAGEONS. Chaque semaine, deux chapitres paraîtront sur ce blog.

Ici, le début du roman

Là, le chapitre précédent

Notes de Pol Otenn, l’aéronaute

 

            Lingeri 3 fructôse, quelque part au dessus de la forêt

Mon rêve se réalise en plein cauchemar. Je vais quitter Brest. Les portes Liberté viennent de sauter. Je file à l’est avec M. Savète, mon patron, pour une mission d’intérêt général.

Le trop plein d’émotions me fait respirer par la bouche à plein thorax.

Nous nous envolons immédiatement.

Monsieur le coopérateur est hystérique, il coupe lui-même les amarres. Tant pis pour les vérifications d’usage, j’espère que les mécaniciens ont réparé la nacelle.

La chaîne de l’aérostat, d’habitude tendue entre ciel et terre, ondule dans le vide comme un geste d’adieu.

Brest est un marais fumant, une éclaboussure. Je ne suis pas mécontent de partir, même si la mission s’avère dangereuse.

La forêt est vraiment terrifiante. Elle se déplace autour de la ville comme jadis une meute de loups. Elle serpente et se coule dans les vals. Elle montre les crocs, acérés, de ses pinèdes. Dans les prés rares, elle a l’œil louche. Le vent la fait mugir. La forêt froisse nos derniers morceaux de campagne grise dans ses mains aux doigts d’arbres morts.

Diogène, d’habitude si pointilleux sur son apparence, n’a pas eu le temps de se faire la barbe. Comme moi, on l’a réveillé et jeté dans l’aérostat. Il se tient à la rambarde. Non, il s’y cramponne.

Je le vois bien, son corps n’est pas à l’aise dans la nacelle. On dirait qu’il fait de son mieux pour ne pas céder au vertige. Ne pouvant plus compter sur lui, je vais devoir prendre les choses en main. Diogène n’est plus mon patron, il n’est plus chef de la sûreté. C’est juste un homme. Essayons de briser la glace.

Je jette par-dessus bord mon a priori sur lui, avec le lest.

La forêt à perte de vue, Brest derrière nous.

Hélas, nous ne volerons pas bien loin, j’en ai peur. Ce ne sera guère plus qu’un saut en hauteur, mais dans un ballon. Le gaz va bientôt manquer et nous devrons nous poser. Mon aérostat n’est pas prévu pour ce genre d’expédition.

Premières paroles de Diogène, un peu agacé par mes petites attentions envers lui : "Occupe-toi de voler le plus loin et le plus longtemps possible. Laisse-moi le temps, je vais retrouver mes esprits."

"Tu peux compter sur moi." J'ai répondu. Le tutoiement est passé, comme un léger trou d’air.

Jamais vu une aube aussi belle. Des plaques de magma sur une banquise de nuages. Il y a même, dans un coin du ciel, un petit point bleu pâle : c’est la lune.

On dirait que les nuages se tiennent à l’horizon pour nous laisser passer. Malheureusement, ça ne suffira pas. Il faudra bientôt atterrir.

Je claque des dents sans avoir froid et je frissonne d’excitation.

Diogène, lui, tremblote et grelotte franchement.

Allez ! Plus légers que l’air, plus chauds que les brûleurs ! Et du nerf !

 

Fin de la première partie

A suivre...


lundi 5 septembre 2022

DRAGEONS, partie I : "Les Sept Derniers Jours de Brest" 20/21

 Cet été, découvrez en feuilleton la première partie de mon roman DRAGEONS. Chaque semaine, deux chapitres paraîtront sur ce blog.

Ici, le début du roman

Là, le chapitre précédent

Calepin de Jeannie Negadel, gargotière

 

            Lingeri 3 fructôse, au matin

            Que d’événements !

Déjà, l’autre soir, on a sauvé Loulig. Le chien de Diogène. C’est Léonard, un brave type, qui est allé le chercher près des douves grâce à un reste d’échafaudage.

Entre les inondations et les remparts, je ne comprends pas comment le chien a pu se retrouver à l’extérieur de Brest. Quel dommage qu’il ne puisse pas me raconter ce que devient son maître. En tout cas, j’ai décidé de le garder.

C’est en sympathisant avec Léonard que j’en suis venu à faire partie du groupe d’intervention pour l’attaque de ce matin sur les portes Liberté.

« On aura besoin de tes doigts endurcis par la vaisselle pour tirer sur les bouts et carguer les voiles. Et puis comme tous les Guérinois ont fait vœu de silence, on aura aussi besoin de ta voix forte pour crier les ordres sur le pont. Pendant ce temps-là, je serai à la barre avec Gabriel Boiramage, le capitaine. » il m’a dit.

La mission Capricorne a été un succès.

            Juste avant l’aube, on a mis le cap au sud-ouest et on a navigué dans la rue Jangeau. L’ancienne avenue marchande, bien pentue, était un vrai torrent. Le bâteau-fort passait tout juste entre les immeubles. Juste avant l’embarquement, Léonard avait chargé les soutes de poudre chapardée dans une fabrique à Salouis. Une fois la rue descendue comme un rapide, il a fallu hisser les voiles (le vent soufflait en direction des portes) puis mettre le feu au pont et jeter à l’eau les canots de sauvetage pour nous éloigner au plus vite du bâteau-fort changé en arme dévastatrice. Ramant de toutes nos forces, on a suivi des yeux le navire qui se dirigeait résolument vers les deux portes gigantesques de Liberté.

Il y a eu d’abord un grand boum quand la proue a buté contre l’édifice, puis l’explosion a éclairé tout Salouis. C’est la chute du mat en flammes, cassé net par le choc, qui est venu mettre le feu aux calles chargées de poudre.

Il ne restait plus rien des portes de Salouis. On leur avait cassé la figure et les remparts étaient tout édentés. Le quartier chic pouvait crever la gueule ouverte.

Le nom de la mission « Capricorne » prenait tout son sens : le bâteau-fort était mi-poisson, mi-bélier.

On venait de mettre un pied au premier étage d’un immeuble désaffecté dans une rue adjacente à la rue Jangeau. Juste à temps, car au même moment, un courant fort a commencé à déporter nos canots. La brèche énorme qu’on venait d’ouvrir agissait comme une bonde, et la cuvette qu’était devenue le reste de Brest se vidait dans Salouis.

« On a fait d’une pierre deux coups. Salouis vient de perdre une bataille et Samartin vient de retrouver ses trottoirs et ses routes. Liberté portait bien mal son nom avec sa herse et ses grands murs. » a dit Léonard. A la mine que je faisais en pensant aux morts qu’avait dû causer cette attaque éclair, Gabriel Boiramage m’a écrit sur son ardoise : « Ils ont sûrement évacué tout Salouis dans la forteresse. Le vol de poudre n’a pas dû passer inaperçu. Ce sera juste un coup de plus à l’orgueil d’Onésime : ses industries métallurgiques sont foutues. Il n’a plus qu’à se terrer dans sa forteresse. »

Je me faisais quand-même du souci, notamment pour Diogène. « Tiens, c’est bien ce qu’on disait, Jeannie. Ils envoient déjà leur aérostat de reconnaissance. Le même qu’on a criblé de plomb, saineri dernier ! En attendant, il vaudrait mieux nous planquer dans cet appartement. A l’heure qu’il est, ma tête doit coûter cher : le patron de la fabrique de poudre de Salouis ne va pas tarder à comprendre que c’est son employé, un certain Léonard, dit « le rusé », qui a fauché un stock d’explosifs. Pour faire un coup pareil, ça valait presque la peine d’être exploité par Salouis, non ? » a dit Léonard.

            Avec le siège qui se prépare, je vais devoir reprendre du service. Il faut bien une gargotière pour les rations de combat.

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