Elle soupire d’aise en constatant que, sur les murs, les appliques en bronze portent bien leur flamme de verre et que, dans la cage d’escalier, les portraits de ses ancêtres sont toujours en bonne place. Elle descend les marches, sa main blanche et livide sur la rambarde, et se retrouve dans le vestibule. Jusqu’ici, tout va bien. Elle ne pense qu’à retrouver son salon, son fume-cigarette et, à défaut de dormir, rêver dans son fauteuil voltaire. Voilà qui la remettrait de ses émotions. Enfin, elle ouvre les larges portes vitrées du living. C’est du moins ce qu’elle croit faire. En réalité, elle les traverse. Oui, elle passe à travers. Ses mains, ses poignets, son pied droit, ses coudes, son visage entier, son corps et enfin son pied gauche traversent les petits carreaux colorés des battants de la porte, exactement comme on traverse le rideau d’une cascade.
Justement, ce qu’elle découvre dans son salon lui fait l’effet d’une douche froide. Elle ne reconnaît que les dimensions de la pièce, le reste s’est métamorphosé. Que sont ces objets sombres qui la fixent, là, dans les coins, de leur œil tantôt rouge, tantôt noir ? Que fait au centre, posée sur ses trois pieds, cette créature immobile et terrifiante ? Sur le sol, des briques luisantes, couvertes d’antennes étranges et grosses comme ces insectes qu’on rapportait des Indes, grésillent horriblement. Quelle horrible farce on lui a fait ! Sur son guéridon, des pierres précieuses qu’elle n’a jamais possédées brillent et resplendissent d’une lumière anormale, d’une lueur qu’on pourrait qualifier de contre-nature. Juste à côté, sur la tablette d’un secrétaire est posé un tableau, mais encadré d’une telle manière que la vitre, entièrement noire et opaque, occulte la peinture.
Elle sursaute. Un sifflement strident, comme sorti d’une machine à vapeur en surchauffe, retentit ; et des sons, ou plutôt des cris, aigus, terribles, lui vrillent les tympans. « Il faut que le diable lui-même se soit emparé de mon château ! »
Allongé par terre, un homme se lève en sursaut. « Dieu tout puissant… » souffle-t-elle, et elle sort de la pièce comme elle était rentrée, pâle et fébrile.
La veille, une voiture s’était garée devant les marches du château. Un homme assez jeune en était sorti. Le majordome était venu l’accueillir pour l’aider à porter toutes ses affaires jusqu’au salon. Sur le trajet, il lui raconta la longue histoire du château. « Vous serez très bien dans ce salon pour y passer la nuit. Les chambres sont vides et les lits sont faits mais, vous comprenez, elles ont été aménagées en musée. Personne ne peut y dormir. Tout doit rester tel quel. » L’homme sortit son matelas de camping et son sac de couchage, qu’il étendit sur le sol du salon, en assurant au majordome qu’il serait très bien ici. Il déballa le contenu de ses valises, de ses boîtes et de ses étuis. C’était tout un attirail étrange de machines hétéroclites : des appareils bizarres, des écrans et des panneaux de contrôle, diverses consoles, des télécommandes, des appareils photos et des caméras. D’un œil amusé, le majordome regardait son hôte allumer ses gadgets et ses outils électroniques qu’il répartissait un peu partout dans la pièce, en lui parlant de l’ancienne maîtresse du château. « Elle est morte dans sa chambre, en pleine nuit. » lui dit-il. L’homme se redressa :
— Je suis sûr que j’arriverai ce soir à rentrer en contact avec madame la châtelaine. Cette spirit box que vous voyez là, et ces appareils sensibles aux moindres variations électromagnétiques, aux plus petits déplacements d’air, retentiront s’ils captent une anomalie. Et pendant mon sommeil, ces caméras infrarouges filmeront la pièce. J’espère obtenir des résultats.
— Je vous le souhaite, monsieur le chasseur de fantômes…
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