dimanche 31 juillet 2022

DRAGEONS, partie I : "Les Sept Derniers Jours de Brest" 10/21

 Cet été, découvrez en feuilleton la première partie de mon roman DRAGEONS. Chaque semaine, deux chapitres paraîtront sur ce blog.

Ici, le début du roman

Là, le chapitre précédent

Reportage de Kristell A’gram

 

            Edition du vanneri 31 jovial, An XXVI

Nuit jaune et rouge à Brest

Dans la nuit de jouteri à vanneri, des débordements sans précédent ont fait rage au port de commerce et jusqu’au cœur du quartier Samartin. D’après les riverains, la violence était à son paroxysme et tout le port de commerce était à feu et à sang. Afin de juguler rapidement l’insurrection, les forces de l’ordre ont répondu par une violente répression. Des dizaines de morts (on ignore encore le chiffre exact) sont à déplorer et le nombre de blessés, très important, a provoqué une saturation des services de l’hôpital Morblanche. De plus, les dégâts matériels sont considérables.

Parce qu’un malheur n’arrive jamais seul, c’est après les hostilités que s’est déclenché un spectaculaire incendie dans le cimetière Samartin. Selon les experts, il n’y aurait aucun lien de cause à effet entre les deux événements.

Les sapeurs affirment que le feu était d’une nature inconnue et qu’il ne s’est pas, fort heureusement, propagé au-delà de l’enceinte du cimetière. L’évacuation a été menée dans le calme par les pompiers.

Comme tout un chacun a pu le remarquer, une étrange neige jaune est tombée sur la ville alors que l’incendie faisait rage. On ignore encore l’incidence de cette curieuse précipitation sur la catastrophe de la nuit dernière. Si l’incendie est aujourd’hui éteint, le quartier du cimetière Samartin est parti en fumée.

« L’incendie a commencé par des flammes vert pâle qui se sont propagées tout autour du foyer. Elles ont réduit en cendres des maisons, pourtant solidement bâties, en pierres tombales et en marbre » nous a confié le sapeur-pompier, M. Nirvin. Selon lui, le mystère réside dans le fait qu’il n’y ait eu ni mort, ni blessé à l’intérieur du cimetière : « Bizarrement, au cœur de la fournaise, la température était tout à fait supportable. Nous avons même pu retirer nos casques et nos combinaisons. Le feu ne nous brûlait pas. Il a même laissé indemne tous les arbres, pas un seul n’a brûlé, et les rares pelouses n’ont pas roussi. Il semble ne s’en être pris qu’aux infrastructures. »

C’est une perte considérable pour le patrimoine de la cité car ce quartier était historique. Il constituait, avec la place Guérin, un symbole de l’autonomie politique et un haut-lieu de la vie libertaire. Son architecture atypique, remarquable par ses anciens mausolées rendus habitables, manquera cruellement dans le paysage de la ville.

Notons que deux autres incendies ont eu lieu, ceux du palais de justice et de l’ancienne préfecture, deux bâtiments heureusement désaffectés qui servaient depuis de nombreuses années de squats à des marginaux. On ignore encore s’il y a eu des victimes.

M. Bill Kerreizh, boisilleur en chef et responsable de l’intervention de cette nuit, a accepté de nous donner quelques renseignements : « Nous ne connaissons pas encore l’origine de l’incendie mais nous avons intercepté cette nuit un homme qui cherchait à fuir peu après l’arrivée des sapeurs. Ce n’est pas un inconnu puisqu’il s’agit de M. Diogène Savète, chef de la sûreté brestoise. Il était accompagné d’un autre individu, que nous n’avons pu ni appréhender ni même identifier, ainsi que d’un chien qui s’est enfui. Nos hommes sont à leur recherche et nous espérons bientôt pouvoir tirer au clair le rôle qu’a pu avoir M. Savète dans cet incident. » M. Kerreizh a tenu à rappeler que « les Brestois sont attachés aux traditions, mais que si celles-ci doivent dégénérer, nous ferons en sorte qu’elles cessent, purement et simplement. » Il a ensuite assuré que « tous ensemble, nous prendrons les bonnes mesures pour que les joutes du port ne soient pas synonymes de débordements et de criminalité : la période que nous traversons est suffisamment orageuse comme cela, et le temps nous est compté. »

C’est ensuite M. Loïc Siklo, sergent de ville, que nous avons interrogé à propos des moyens techniques de l’intervention : « Si l’on veut continuer de protéger Brest, il nous faut un pouvoir municipal fort, et des moyens budgétaires qui vont avec, afin d’assurer les besoins d’une milice de dissuasion efficace. »

Si la plupart des Brestois de Salouis se disent satisfaits par la tournure des opérations de la BAPAV, M. Gabriel Boiramage, représentant des séparatistes de la place Guérin à Samartin, dénonce les violences qui ont eu lieu en marge du défilé et en queue de cortège. « C’était une véritable boucherie ! » note-t-il sur son ardoise comme l’impose son vœu de silence. Selon lui, la coopérative profite de la situation inédite provoquée par la catastrophe naturelle en cours pour reprendre les rênes du pouvoir. M. Boiramage poursuit toujours, craie à la main : « Nous trouvons criminelle cette répression. Qu’on se le dise : Brest ne peut vivre sans les hommes et les femmes de Samartin. Les décimer, c’est condamner la cité tout entière à disparaître dans la forêt. La dictature de Salouis qui, pendant ce temps-là, vit dans l’opulence est abjecte. » D’après le représentant des séparatistes, l’exercice du pouvoir est avant tout une question de transparence et d’humilité : « La politique doit être faite par un pauvre qui souhaite rester pauvre avec les pauvres. Il est hors de question qu’une poignée d’apparatchiks s’improvise en pouvoir exécutif. Brest est ingouvernable, la manifestation d’hier le prouve. Nos ancêtres ne se sont pas battus pour l’autogestion pour que nous retombions dans les filets d’un pouvoir autocratique. »

Pour l’heure, personne n’a su nous renseigner sur la mystérieuse poudre jaune. « Des études sont en cours », nous ont communiqué les chefs de la milice scientifique. « Je ne peux pas vous en dire plus », nous a soufflé M. Kerreizh, visiblement exténué. Espérons que ces mystères seront bientôt élucidés, et que les travaux de restauration du cimetière commenceront bientôt : « Ce n’est pas à l’ordre du jour, précise un adjoint du coopérateur venu sur place, nous devons avant tout nous concentrer sur la défense de la ville. »

Ces catastrophes intra-muros nous feraient presque oublier la menace, pourtant bien réelle, de la forêt qui frappe à nos portes.

Kristell A’Gram,

pour Brest-éclair

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Dendrites (1/2)

  Éboulis d'impressions d'hiver, plus branches   Feu de salpêtre et de neige en bouton