mercredi 13 juillet 2022

DRAGEONS, partie I : "Les Sept Derniers Jours de Brest" 5/21

 Cet été, découvrez en feuilleton la première partie de mon roman DRAGEONS. Chaque semaine, deux chapitres paraîtront sur ce blog.



Fiches d’Onciale Coudol, bibliothécaire et linguiste

Le merceri 29 jovial, an XXVI, en fin de matinée

C’était la cohue ce matin, je n’ai pas arrêté. Je ne sais pas combien d’ouvrages j’ai pu tamponner en quatre heures. Tout Brest m’emprunte des livres. C’est à croire que la population ne fait plus que lire et construire des murs. Elle fuit les problèmes dans les mots et se cache derrière les remparts. Personne ne veut entendre les mauvaises nouvelles qui nous viennent de l’est. On préfère encore les livres.

Je suis allée voir tout à l’heure, le rayon botanique est vide. Tout le monde s’est jeté dessus. Est-ce ainsi qu’ils cherchent à connaître leur adversaire ? La plupart des flores sont désuètes. La forêt qui s’avance n’a rien à voir avec le monde végétal que des générations de chercheurs ont étudié, inventorié et classé. Phyllias, l’un de mes élèves, me l’a dit : « Ce qui vient de l’est n’est catalogué nulle part. Rien qu’à l’œil nu, on voit bien que ce n’est pas une forêt classique. » Il aimerait aller sur le terrain, quitter la ville et essayer de comprendre ce feu roulant de verdure. Phyllias aurait aimé être vecteur, il me l’a dit. Je sais qu’il en a les capacités, mais il est pauvre et vit à Samartin dans le cimetière. Cela suffit à le disqualifier aux yeux de Salouis…

Je le vois bien ici : les gens viennent à la bibliothèque en obéissant à une ségrégation sociale tacite. Les pauvres feuillettent la presse, la mauvaise encre du Brest-éclair sur les doigts puis sur la langue en tournant les pages. Les riches de Salouis, eux, s’absorbent dans de beaux ouvrages que je vais chercher à la réserve. Il y a les pauvres, qui viennent pour se chauffer, et les riches, qui font cénacle et salon sur les tables, entre les rayonnages.

Tous ingurgitent livres et revues. C’est une addiction qui surgit lors des périodes troublées. On voit tous les brestois un carnet ou un livre à la main. Ils ne peuvent s’empêcher de lire et d’écrire. C’est devenu compulsif.

Je lis, j’écris et j’enseigne mais je dois aussi m’occuper les mains. Je suis une cordonnière du livre. J’astique les plats de cuir, dépoussière les tranches, cire les dos et décrasse les coiffes en ménageant les tranchefiles. C’est tout juste si je ne refais pas les nerfs des reliures avec des passe-lacets.

Je suis toujours ici à me faire des ventrées de livres que je porte à bout de bras d’un rayon à l’autre, les cotes en tête et l’alphabet sur le bout de la langue pour bien les ranger. Mon charriot fait bombance d’ouvrages déclassés et je le pousse, comme un landau, sentant le papier à l’odeur ronde. Je range les livres usés, passés de paumes en paumes ; c’est ainsi que je serre la main des ancêtres. Parfois j’en ouvre un, pour le seul contact d’un papier qui s’est affiné comme un fromage inodore. Et j’en fais claquer dans mes mains en les refermant avec rudesse et dans un geste docte que j’aime. Il y a aussi le papier mou qui se déverse comme de l’eau sous mon pouce quand je feuillette rapidement. Les caractères noirs ressortent en paragraphes parfaits, bataillons furtifs bien rangés qui flattent mon œil. Mes yeux se reposent dans le blanc des marges avec mes pouces bien à plat. Moi, je les aime avidement, les livres.

Nous avons sacrifié une grande partie de notre confort, mais nous ne jetterons pas les livres, nous ne tournerons pas la page. On tient à notre langue morte que nous veillons dans nos carnets. On jure dans la rue, on s’apostrophe dans un patois de cuisine, on parle en canaille, mais on écrit dans un beau français qui ne paraît jamais aussi vivant qu’articulé sur le papier. La barrière de la langue, on l’a prise à la lettre ! On s’en défend. Après tout, on parlait encore latin après la chute de l’empire romain.

Je vais rejoindre la fac par la passerelle pour préparer mon cours.


Notes télégraphiques pour mon introduction sur le savoir des Anciens

Insister sur la stagnation du progrès, puis son déclin. Peut-être aborder avec les élèves ce que fut internet. Commencer rapidement une introduction sur l’archéologie de ses réseaux et sa disparition. Présenter le numérique et son langage binaire. Parler aussi de l’hégémonie de l’anglais sur le web.

Titre possible : « Une nouvelle ère : de l’écran au papier. »

Ouverture : « Durant de nombreuses décennies, le savoir dépendait d’un réseau électronique mondial. »

Donner une idée de ce que ça pouvait être sans trop rentrer dans le détail, ni tomber dans la légende ou le mythe. Casser les idées reçues et les affabulations sur la « magie » des ordinateurs.

Expliquer les « mondes virtuels », rendre compte du fonctionnement des « réseaux sociaux » et donner une idée de ce que pouvait être la vidéo à l’ère du net.

Si on a le temps, parler de la téléphonie mobile et plus largement des télécommunications.

Faire passer dans les rangs quelques vestiges de l’informatique. Insister sur l’âge d’or de cette technologie et du peu que nous en savons aujourd’hui par manque d’archivage et de leur obsolescence causée par la disparition des énergies nécessaires à leur bon fonctionnement.

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