lundi 29 juillet 2024

La Vigilance


        C’est un tableau changeant. Une toile de petit-maître à la perspective trompeuse. J’éprouve une sensation de vitesse, tout en restant parfaitement immobile. Rien de vivant dans cette jungle éteinte, à part ces yeux blancs si près du sol et qui n’ont rien d’animal.

        Je descends et je m’élève sans effort dans un paysage de gris, de blanc et de vert profond. Des détails d’épaisseur touffue grossissent et disparaissent latéralement, coupés en deux par des vertèbres qui serpentent à mes pieds.

        Un bruit continu, pas tout à fait un ronronnement, pas tout à fait une vibration, assourdit des sonorités nocturnes.

        Ma tête est fixe, et je bouge à peine. La distance passe et repasse dans un tapis de brume.

        La peinture est encore fraîche, elle coule vers l’extérieur de la toile, c’est-à-dire en bas, en haut, à droite et à gauche, sans prendre en compte l’attraction terrestre.

        Aucun musée n’a dans ses collections un tableau d’aussi grande dimension. Le cadre est gigantesque. Il est aussi grand que mon champ de vision. Un champ de vision dans lequel on cultiverait des hautes herbes à toute vitesse.

        Quel voyageur, quel mourant, quel nouveau-né pourrait traverser un décor aussi terrible ? Les abysses sont plus lumineux.

        Je ne peux pas quitter des yeux cette toile. Je ne dois pas la quitter du regard. Elle m’engage. Je n’en suis pas seulement le spectateur. J’en suis aussi l’acteur. Je joue dedans. J’y ai un rôle.

        Je me raidis.

        Je dois me ressaisir.

        Surtout, rester vigilant.

        Je mets la radio à tâtons et replace ma main sur le volant.

        Le tableau a changé. Parfaitement figuratif. Je reconnais les lieux. Mon tableau de bord apparaît. Dans quelques dizaines de minutes, j’arriverai au bout de cette toile, tout au fond, à l’arrière-plan.


        S’il y avait un livre d’or quelque part dans cette galerie d’art mouvante, j’aurais écrit sur l’une des pages : « Le conducteur n’a pas somnolé. Ce sont les routes nocturnes qui cauchemardent. Belle exposition. »

 

lundi 22 juillet 2024

Tâcher d'écrire

 



bref instant gris gâché
de lumineux nageurs
au corps complet de monstre
un brin rigide agissent
tiraillés par l'auteur
livré aux mots bizarres
à mi-chemin d'amour
piégé dans son fil mû
par le vent, au signal
sa joie superbe attaque
un zéro vu de près

lundi 15 juillet 2024

Le fossoyeur, limerick (I,12)


Quand Maldoror égaré se trouve en Norvège,
Il croise un fossoyeur. Pour l’aider, il l’allège
Un temps de son labeur. Maldoror creuse et cause
Avec lui, bêche en main. Soudain, lors de la pause,
Il lui dit l’air défait : « Ma tombe est prête, y vais-je ? »

lundi 8 juillet 2024

Transports en commun, pantoum en boule de neige



Bus
Métro
Tram
Bondé

Métro
À l’arrêt
Bondé
En vitesse

À l'arrêt
L’escalator
En vitesse
Monter les marches

L’escalator
Dans le souterrain
Monter les marches
Valider son titre

Dans le souterrain
Se presser, immobile
Valider son titre
Passer le grand portique

Se presser, immobile
Tout est ponctuel, chaotique
Passé le grand portique
Le doigt sur « ouvrir la porte »

Tout est ponctuel, chaotique
Tant d’arrêts, de stations défilent
Le doigt sur « ouvrir la porte »
Voir la main, le poing, la poignée

Tant d’arrêts, de stations défilent
Ânonnés par la voix déformée
Voir la main, le poing, la poignée
Des passants, des gens, des usagers

Ânonné par la voix déformée
Le temps se plie aux trajets minutés
Des passants, des gens, des usagers
Sentir le parfum froid des corps croisés

Le temps se plie aux trajets minutés
Des rangées de bras ballants, de pieds moulus
Sentir le parfum froid des corps croisés
Contraints côte à côte à se serrer les coudes

Des rangées de bras ballants, de pieds moulus
Promiscuité engluée dans sa gêne aiguë
Contraints côte à côte à se serrer les coudes,
Ces inconnus, si près des yeux, si loin du cœur.


lundi 1 juillet 2024

Calligraphème n°2

 

Calligraphème en 10 étapes.
Sur une même page, la recherche au brouillon du poème et sa mise au propre.

1.- [suite illisible de traits]

2.- L uicivrivLELEClasseINGLaSuiclinivruPSaQCECRl [illisible] lia

3.- Luicivriv Le LeclasseING La suicLin invru pASQUECristal2lia

4.- L u i civriv le le classe ing La suiclininvru pas que cristal salira

5.- Lui l'homme cyan rivé sur le lac aux éclats classés ingénueusement (sic) les uns à la suite par inclinaisons vertueuses que le cristal

6.- L'homme en cyan luit, rivé au lac dont il classe les éclats de grenat minutieusement, ces clins d'œil de verre aux inclinaisons presque vertueuses que le cristal salira.

7.- L'homme en cyan luit, rivé au lac, aux beaux éclats, de grenat mat, clins d'œil en verre, presqu'incliné, vers le cristal, qu'il salira

8.- L'homme en cyan luit * rivé au lac * aux beaux éclats * de grenat mat * clin d'œil de verre * vide incliné * vers le cristal * qu'il saluera

9.- Rivé au lac,

l'homme en cyan luit

de grenat mat

aux beaux    éclats

9 bis.- Vers le cristal

Qu'il saluera

Clin d'œil de verre

Vide    incliné

10.-

rivé au lac,

l'homme en cyan luit

de grenat mat

aux beaux éclats

vers le cristal

qu'il saluera

clin d'œil de verre

vide incliné


Monostiche paysager

  À Coulans, le 25 février 2025   La route est trempée, éclaboussée de soleil.