dimanche 17 novembre 2024

Tilia


Touffu, l’arbre est bien bâti.
Il est le blé des aïeuls,
Le froment des mal lotis,
La feuille en poudre à la meule
Et, quand ses fleurs sont sorties,
Un bouquet nourrit tout seul
Les bourdons en appétit.

 


dimanche 10 novembre 2024

Plume à la main, villanelle (II,2)

 

 

Je suis chez moi, j’écris
le soir, plume à la main.
Mes doigts se pétrifient.

Il pleut. Il est minuit.
L’orage éclate au loin.
Je suis chez moi, j’écris,

un éclair fend la nuit,
brise un carreau, m’atteint,
mes doigts se pétrifient.

Foudroyé, je m’écrie
le front en sang : « Gredin !
Je suis chez moi, j’écris,

et toi, tu me défies ! »
Je sens que dans mes poings
mes doigts se pétrifient :

« Grand-Tout, tu m’as meurtri.
Es-tu fier, assassin ?
Je suis chez moi, j'écris,

et toi, tu viens, tu nies
mon travail d’écrivain ?
Mes doigts se pétrifient,

par ta faute, et tu scies
ma face en deux. Eh bien ?
Je suis chez moi, j’écris. » 

Des séraphins me prient
de brûler mon bouquin.
Mes doigts se pétrifient.

Le sang a tout sali.
– Sultan ! Ici, mon chien.
Je suis chez moi, j’écris,

Toi, nettoie le tapis
en lapant le sang. Bien.
Mes doigts se pétrifient.

Le bandage est fini.
Mon visage est vilain.
Je suis chez moi, j’écris.

Léman, mon vieil ami,
réchauffe un peu mes mains,
mes doigts se pétrifient.

Grand-Tout, paralysie 
ou non, je te préviens, 
je suis chez moi, j'écris

et mes doigts se délient.

 

dimanche 3 novembre 2024

Mystère à vendre

      
    Dans la rue passante, un homme sandwich portait sur ses épaules l’affiche suivante :

Nouvel arrivage de sambuques
Découvrez le séidisme
et les vertus de la ribote

    Nous marchions en sens opposé ; moi, vers la grande place, lui vers les boulevards. J’avais lu en diagonale son annonce, tracée en grosses lettres bleues. Sans le vouloir, les mots "sambuques", "séidisme" et "ribote" me trottaient dans la tête. Qu’étaient-ce que ces sambuques, ce séidisme et cette ribote ? Je restais sourd au bruit ambiant de la foule. J’étais aveugle aux autres sollicitations publicitaires.

    Je ne pensais qu’à la sambuque, au séidisme et à la ribote.

    Pourquoi étais-je obsédé par ces mots ? Je n’en connaissais pas la signification, mais ils me semblaient familiers. J’avais dû les lire ailleurs ; peut-être dans un roman, ou bien dans une revue. Leur sonorité ne m’était pas tout à fait étrangère.

    "La sambuque, ça doit être une essence tropicale de plante capable de synthétiser je ne sais quelle molécule dont la phytothérapie fait grand cas. Quant au séidisme, c’est à tous les coups une nouvelle branche du développement personnel. Pour ce qui est de la ribote… la ribote… Un plat en sauce ? Non. Tout ça n’a aucun sens. Pourquoi cette annonce ? Pourquoi ce charabia ? D’habitude, la publicité est d’une bêtise abyssale et aujourd’hui, on me propose de la sambuque, des stages de séidisme et de la ribote..."

    Je fis demi-tour, bien décidé à retrouver ce charlatan pour connaître le fin mot de cette histoire. Je pris la foule à contre-sens, cherchant des yeux mon homme-sandwich en répétant, mâchoire serrée, le mot "sambuque" comme on rumine un juron.

    Arrivé aux boulevards, j’aperçus mon homme, adossé au mur. Il avait posé à côté de lui sa grande pancarte et buvait de l’eau à sa gourde. Je m’approchai pour lire une seconde fois le slogan publicitaire. J’espérais l’avoir mal lu. Après tout, ces mots étranges, je les avais peut-être inventés.
    Non. Il était toujours question de sambuque, de séidisme et de ribote. L’homme sandwich but une dernière gorgée, s’essuya la bouche d’un revers de la main et me lança :

– Alors ? Intéressé ?

– Par quoi ? Je ne comprends rien à votre affiche.

– Si vous ne l’aviez pas comprise, vous ne seriez pas venu me voir. Vous vous intéressez à la ribote ? me dit-il en clignant de l’œil.

– Qu’est-ce qu’une ribote ?

– Ah ! Je vois... monsieur préfère peut-être parler du séidisme.

– Oui, ou bien de la sambuque. Je ne sais pas non plus ce que c’est.

– C’est vrai qu’on n’en voit plus beaucoup de nos jours. Elles sont à vendre, mais je n’ai pas d’exemplaire de démonstration à vous montrer. Je porte déjà beaucoup de choses sur mes épaules. Je me contente de faire de la réclame. Il faut d’ailleurs que j’y retourne, ma pause est terminée. Bonne journée.

    Il repartit, affublé de sa grande affiche. Il était déjà loin quand, les mains en porte-voix, je lui criai : "Où peut-on les acheter vos choses ? Pour qui travaillez-vous ?" Il se retourna et fit un geste assez vague d’un air un peu amusé qui signifiait "ici ou là" puis disparut dans la foule.

    De retour chez moi, je fis des recherches. Ces mots avaient bien un sens, mais la publicité n’en avait aucun. Même en connaissant la définition de sambuque, de séidisme et de ribote, la phrase de l’annonce ne voulait rien dire.

    Évidemment, pas un seul magasin, pas un seul revendeur, pas une seule boutique ne vendait de la sambuque, des cours de séidisme ou même de la ribote.

    Le mystère s’épaississait.

    Je passai une nuit épouvantable, retournant et retournant sans arrêt le problème dans tous les sens. Près de mon lit, j’avais ouvert une douzaine d’usuels – dictionnaires, encyclopédies et traités sur l’histoire de la langue – pour essayer de trouver le lien qui unirait ces trois mots. Après des heures de recherche, je n’étais pas plus avancé.

    J’étais au désespoir.

    Je ne voyais plus qu’une seule solution pour me libérer de ce problème insoluble.

    Le lendemain, je ressortis pour remonter la rue, des grands boulevards jusqu’à la place, en arborant une grande enseigne où j’avais écrit ces mots :



dimanche 27 octobre 2024

Acer

 

 
Écorce aux tons gris clair
Rougit l’automne en diable
Ailé d’hélicoptères
Beau bois d’œuvre inusable
La feuille est paume en l’air
Et la sève agréable.
 
 

dimanche 20 octobre 2024

À pied la nuit

 
En revenant
de Saint-Julien
à pied la nuit
quand il a plu
– qu’il pleut encore –
et que la lune
a disparu
prise en écharpe
dans les nuages
pas une étoile
pour m’éclairer
– ni lampadaire
ni réverbère
à la campagne –
à l’horizon
il reste un peu
de crépuscule
qui s’affadit
– la marée basse
de la lumière –
de la lumière
moins ténébreuse
ici qu’ailleurs
qui luit à peine
d’un gris rasant
les champs noircis
d’ombre étalée
sur les récoltes
je me repère
aux reflets sombres
tombés du ciel
– droit dans les flaques –
et à la route
en dents de scie
longeant la haie
l’obscurité
est encor fraîche
j’en suis couvert
tout maculé
de nuit qui tache
de gris profond
de noir aigu
de bleu pétrole
je n’entends plus
que les derniers
grillons d’automne
– leur chant vrillé
tantôt lointain
tantôt tout près
me scie les nerfs –
et puis j’entends
mes pas pressés
sur le sol mat
je me repère
aux bords confus
de la chaussée
rongée de ronces
ne pas dévier
rester au centre
bien au milieu
la route étroite
devient chemin
sentier, fossé
ruban, ficelle
fil ou cheveu
– pupille ouverte
au maximum
délavée par
l’obscurité
pour y voir clair –
– un peu moins mal –
je ne suis plus
que pieds, mollets
cœur et poumons
je continue
je reste au centre
imaginaire
de mon chemin
je me repère
ou bien plutôt
je me souviens
et je devine
la route à prendre
je ne suis plus
qu’oreille et jambe
voilà les ronces
sur les côtés
pas d’animaux
le long des bois
près des bosquets
dans les fossés
je n’y vois rien
tant mieux me dis-je
– je dis tant mieux
pour me parler
pour me tenir
sans compagnie –
je ne veux pas
les apeurer
ou m’apeurer
peur d’avoir peur
tout à fait ça
peur d’avoir peur
juste un instant
comme un sursaut
rien – tout est calme –
ferme après ferme
que je dépasse
hangar, pré, grange
jardin, verger
je n’ai pas peur
pas tout à fait
non c’est plutôt
peur d’apeurer
ou de surprendre
passant, voiture
ou habitant
moi à cette heure
et dans le noir
je me verrais
je me dirais
– toi ? à cette heure ?
et dans le noir ?
je répondrais
je n’ai pas peur
pas tout à fait
– mais j’aurais peur –
je m’imagine
me rencontrer
moi face à face
avec moi-même
voilà l’effroi
se rencontrer
soi face à face
avec soi-même
seul sur la route
à pied la nuit.
 
 

dimanche 13 octobre 2024

Chant de colère (II, 1)


 
Qui l’a vu passer
ce chant de colère
tombé de ma bouche
belladone aux lèvres ?

Qui l’a vu passer ?
Ni le vent, ni l’arbre
ne l’ont vu s’enfuir
d’un pas ferme et droit.

Qui l’a vu passer
verra mon épée
sertie de diamants
trancher sa conscience.

Qui l’a vu ? Pas ces
humains dont le cœur
est noir : sur le bien,
le mal est vainqueur.

Non, ce crapaud d’homme,
lecteur, c’est sa chance,
qu’il a vu passer.
 
 
 

dimanche 6 octobre 2024

Nouveau tombeau pour Joachim du Bellay

 

à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris
 
 
C’est
ton front
de poète
ouvert
en
deux
révélant
ta méningite,
ce sont tes os
rongés par la
tuberculose,
ton sternum
autopsié,
tes bras
croisés
sur le
ventre
et ton
bassin
déformé
par tes
trajets
à cheval
qui valent
pour épitaphe
Joachim du Bellay.



Tilia

Touffu, l’arbre est bien bâti. Il est le blé des aïeuls, Le froment des mal lotis, La feuille en poudre à la meule Et, quand ses fleurs sont...