dimanche 12 octobre 2025

Volume horaire, juin 2024 (2/12)

 

Quoi qu’on fasse, une journée
ne compte que vingt-quatre heures.
Les quatrains suivants s’en accommodent,
tous écrits en vingt-quatre mots.

 
 
 
Dans le jardin, le 2/06/24 à 16h13        

En paillant l’allée toute enherbée
de la serre en plein soleil,
mes lunettes s’embuent de sueur
et je vois l’été double.


La Fontaine (Chaufour), le 4/06/24 à 14h38        

Les chiens aboient après une guêpe
qui grésille, piégée dans la véranda.
Je l’abats d’un revers
de gant de jardinage. Quel silence !


La Fontaine (Chaufour), le 9/06/24 à 9h06        

Un nuage de moucherons se forme
au-dessus d’une épuisette abandonnée.
Une abeille bourdonne dans la lavande
tandis que j’ouvre Les Misérables.


À mon bureau, le 10/06/24 à 11h58        

Le visage enfoui dans mon coude
pour ne plus penser à rien,
je sens le pouls du curseur
qui clignote dans la phrase délaissée.


À mon bureau, le 11/06/24 à 9h51        

J’écris en écoutant des ouvriers
travailler, remuant sable et ciment frais,
tout en gueulant des ordres inaudibles
qui, de loin, me semblent adressés.


Café du midi (Chaufour), le 12/06/24 à 10h55        

Les chansons niaises à la radio,
le bruit continu des poids lourds
qui passent en couvrant les discussions
de comptoir forment une harmonie légère.


Chez L. et B.V. (Sillé), le 13/06/24 à 18h24        

Sur la table de la véranda,
une nature morte : cinq petites assiettes
Bouillon Chartier, cinq éclairs au café,
deux bouteilles, cinq flûtes de cristal.


Le Biorek brestois, le 15/06/24 à 13h16        

À la table voisine, un homme
drogué, maigre et les yeux jaunes,
feuillette en discutant avec son fils
un livre sur l’Égypte ancienne.


Le Hangart (Coulans), le 21/06/24 à 21h35        

La fraîcheur du solstice d’été
le soir, lors d’un concert
moyen de fête de la musique,
quand le public danse de froid.


Au jardin, le 23/06/24 à 11h06        

Tous les deux nous restons lire
sous le parasol, dont l’ombre
est une île à l’abri
de l’écrasante douceur de l’été.


Jardin de G. et W., le 24/06/24 à 17h26        

Le balayage chantant de la faux
quand le fil de la lame
passe et repasse dans l’herbe
qui se couche en bouquets blonds.


Dans la cour, le 26/06/24 à 16h56        

En frottant un brin de romarin
entre le pouce et l’index,
je lis un manuel de géologie
décrivant la formation de la lune.


La Fontaine (Chaufour), le 27/06/24 à 13h43        

Il fait si chaud et lourd
que ma casquette libère un parfum :
l’odeur sucrée de la lessive
d’hier faite à la main.


Jardin Victor Hugo (Le Mans), le 28/06/24 à 16h08        

Je feuillette mes achats du jour
tranquille sous un métaséquoïa de Chine.
Sur le banc, roulée en boule,
la veste oubliée d’un enfant.

dimanche 5 octobre 2025

Volume horaire, mai 2024 (1/12)

 
Quoi qu’on fasse, une journée
ne compte que vingt-quatre heures.
Les quatrains suivants s’en accommodent,
tous écrits en vingt-quatre mots.
 

 
 
À mon bureau, le 01/05/24 à 19h30        

Du matin au soir le ciel
est resté gris. Il a plu.
J’écris le front chaud de
ne pas avoir pris l’air.


Dans la cuisine, le 07/05/24 à 11h12        

En attendant que l’eau bouille,
je regarde le vol des rapaces,
tout en cercles et en volutes.
Le ciel paraît bas de plafond.


Dans la serre, le 08/05/24 à 13h58        

La serre en forme de voûte,
constellée par la condensation qui brille,
ressemble à un plafonnier de gouttes
glacées au milieu de la fournaise.


À mon bureau, le 13/05/24 à 12h19        
        
Une abeille est entrée en trombe
par la fenêtre et vole bruyamment
autour des rayonnages de la bibliothèque
pour faire des livres son miel.


Dans le salon, le 14/05/24 à 7h52        

Lire le journal d’Huguenin avant
d’aller étendre une lessive et
de s’occuper des semis. Après
ça, trouver le temps d’écrire.


Laval (Grande rue), le 15/05/24 à 18h44        

Seul devant un pas-de-porte,
un petit garçon tient une paille.
En me voyant passer, il dit :
« Je vais aspirer tout le monde ! »


À mon bureau, le 16/05/24 à 11h29        

J’écris en écoutant les oiseaux
piailler. Elle est loin l’époque
où je fréquentais les cafés bruyants
pour écrire au milieu des bavardages.


La Fontaine (Chaufour), le 17/05/24 à 15h28        

Sous le petit appentis, en tailleur,
à l’abri de la pluie.
Laissé en plan sous l’averse,
le bûcheronnage attendra la prochaine éclaircie.


Le Mans (parc de Tessé), le 18/05/24 à 17h51        

Sous les branches du ginkgo biloba,
quatre jeunes branchés jouent au spike ball
sur un fond de musique électro
que la bière blonde rend légère.


Dans la serre, le 19/05/24 à 21h13        

Très peu de limaces ce soir
autour des plants de courges spontanées.
La potentille s’arrache par poignées
et les pousses de chénopodes sauvages.


Dans la cour, le 20/05/24 à 11h08        

Sur le gravier devant le box :
une chaussette orpheline au talon ensanglanté
avec des pattes gantées de cuir.
Une taupe tuée par un chat.


Chez G. et W., le 21/05/24 à 22h17        

Pendant qu’on parle jeux olympiques
et que passent les Beach Boys,
le vieux chat sur son pouf
dort sous une serviette en papier.


Le Mans (rue du Port), le 22/05/24 à 13h26        

Sur une place réservée aux livraisons
gît une patte coupée de pigeon.
Les doigts griffus, bien à plat,
comme une feuille dans un herbier.


Dans la cour, le 25/05/24 à 19h42        

Devant la friteuse, sous un parasol
à l’abri de la pluie.
Les beignets cuisent dans la végétaline
et se retournent comme des poissons.


Laval (rue de la Fuye), le 26/05/24 à 17h34        

Les uns somnolent au salon et
les autres discutent politique à table.
Par la fenêtre ouverte du balcon,
j’entends le chant du coucou.


Dans le lit, le 27/05/24 à 15h46        

Par un silence d’après-midi,
quand fond toute envie de travailler,
nous avons dormi côte à côte
pour que nos rêves se touchent.


La Fontaine (Chaufour), le 28/05/24 à 14h26        

Un cousin affolé pris dans une
toile d’araignée laisse sa patte
et s’envole. La prédatrice arrive
mais délaisse, déçue, le maigre gibier.


Dans la cuisine, le 30/05/24 à 13h47        

La pluie et l’orage plongent
toute la pièce dans l’obscurité.
Vient une éclaircie et de nouveau
intérieur jour, intérieur nuit, intérieur jour.


Coulans (Ferme de La Moncesière), le 31/05/24 à 17h08        

Devant la grange, dans une flaque
boueuse et grande comme une mare,
quatre gamins braillards lancent des pierres
qui font des ploufs sans ricocher.


dimanche 28 septembre 2025

Lecture en musique de L'Ange derrière la vitre

 

Lecture du poème, écrit à quatre mains avec Bertrand Lançon, accompagnée par Yann Pétillon au piano et d'Isaa à la flûte traversière.

Montage vidéo réalisé par Isaa.

Le texte est disponible ici.

 

dimanche 21 septembre 2025

Logogriphe n°3

 


Sur mes six pieds je protège un magot 
mais la tête en moins je fais un cadeau.
 
 
 

[Le logogriphe est un poème énigmatique dont il faut trouver le mot par l'évocation de tous les autres mots que celui-ci comporte quand on lui retire une ou plusieurs lettres. Ce jeu littéraire était courant à la fin du dix-huitième siècle et au début du dix-neuvième. Il est ensuite tombé en désuétude, remplacé par la charade. Le logogriphe a son vocabulaire propre : les pieds sont les lettres du mot à trouver ; la tête signifie la première lettre de ce même mot et la queue, la dernière.]

 

dimanche 14 septembre 2025

Rurex

 

 

    Près de chez moi, il y a l’ancienne ferme de la Guitonnière. On y accède par un long chemin désaffecté où la vie sauvage explose. Arrivé au bout, on s’aperçoit que toute activité humaine a disparu. La grande cour de la ferme est immobile. Pas un cheval, pas un chien, pas un chat, pas même une poule. Un tracteur, au strabisme divergent, se décompose. Des herbes folles bordent ses pneus de petites fleurs jaunes rassemblées en foule curieuse. Les étables s’effondrent les unes après les autres. Elles tombent d’épuisement. Elles meurent de vieillesse. Les fenêtres sont ouvertes à tous les vents. On pourrait lire sur leurs huisseries, comme on lit sur les lèvres : « abandon… abandon...». Une seule silhouette humaine et minuscule : celle d’une femme, dans le creux d’un mur. C’est une statuette de la vierge et de l’enfant Jésus qui, délavé par la pluie, a la douceur immaculée d’un bel haricot blanc.
    Il n’y a plus l’agitation, l’effervescence et le désordre de toute fermette en bonne santé. L’abandon a nettoyé la place. Il y règne un ordre funéraire.
    Les seuls habitants sont des chevreuils. Ils se nourrissent du verger qu’ils entretiennent de leurs incisives qui ont le mordant d’un sécateur. Les portes des granges s’entrouvrent sur des bidons renversés et des jerricans qui fuient. Ça sentira l’homme encore longtemps.
    Quand vous vous trouvez au bout de cette ferme, le chemin s’arrête, il faut faire demi-tour. C’est une presqu’île. On voit tout autour de cet îlot sauvage, une mer de terres agricoles de plusieurs dizaines d’hectares. Les moissonneuses batteuses qui croisent au large n’y accosteront jamais. Pour quoi faire ? Elles préfèrent pêcher ces gros bancs de poissons d’or : ce blé qui se débat sur la berge. La richesse est là, c’est cette terre, les anciennes parcelles de la ferme de la Guitonnière, ce récif, cet écueil au milieu des céréales. Ses bâtiments sont gênants, ils obligent les engins à faire des détours et à manœuvrer tout au bord. L’infrastructure est trop chère à détruire, c’est la seule raison de sa survie.
    Les tracteurs laissent en pâture cette vieille ferme à la faune et à la flore sauvages. Les prunelliers, les sureaux, les fougères et les ronces y poussent en liberté, loin des gyrobroyeurs. La ferme de la Guitonnière est devenue par la force des choses une réserve naturelle, et la meilleure qui soit : celle qu’on ne cherche même plus à protéger, celle qu’on oublie, celle qu’on délaisse.
 
 
 

dimanche 7 septembre 2025

Lampe au bec d'argent, lai (II,11)

 

 
Lampe au bec d’argent,
feu du Tout-Puissant,
tu luis
là-haut, surplombant
bougies,
autel, croix et bancs
quand prient
le soir, les croyants.
Soudain, on entend
un bruit
de pas menaçant.
C’est lui,
voici
Maldoror ! C’est en
suppôt de Satan,
haï,
maudit
par tous, qu’il se rend
ici.
Assis,
seul, en bout de rang,
son regard méchant
t’épie,
lampe au bec d’argent.
D’un caillou tranchant,
Maldoror te fend.
Tu fuis
de l’huile en chutant.
C’est dit.
Maldoror te prend
au creux de son gant
noirci.
Petit
à petit tu prends
forme en grandissant.
Magie !
Voilà que tes flancs
sont ailés de blanc.
Tu deviens enfant,
séraphin brillant,
putti,
dieu phosphorescent !
Tu fuis
dans les airs, mais c’en
est fait de toi quand
jaillit,
d’un saut, ce dément.
Il t’embrasse, et tant,
et tant ! Au moins cent
fois, oui !
Tandis
que tu le pourfends,
ses baisers brûlants,
amie,
te polluent le sang.
Tu te bats à grands
coups d’épée, coupant
les plis
de son manteau. Sans
répit,
il t’étouffe, il tend
sa lèvre et ses dents
pourries
se rient
de toi en grinçant.
Tu dis,
en tremblant : « je t’en
supplie. »
Tu cries
emplie
de dégoût : « Va-t’en ! »
Il t’embrasse autant
que tu te défends.
Occis-
le ! Trop tard. Tu sens
que ton corps mourant
bleuit,
flétrit,
pâlit.
L’infection s’étend,
et lui, triomphant,
te jette à l’eau sans
merci.

Depuis,
lampe au bec d’argent,
tu parais de temps
en temps, descendant
la Seine, éclairant
la nuit.
 
 
 

dimanche 31 août 2025

La Croix percée, premières pages (2/2)

 

Pages précédentes

    Je sais toujours comment bien m’entourer d’un lieu. C’est une espèce de don. Il finit par devenir ma propriété, mais une propriété intellectuelle. Quand je vais quelque part pour y rester un moment, j’ai la sensation de plonger en bouteille dans le sol et de m’enfoncer dans ses différentes strates de terre pleine de fossiles, de fondations, de racines, d’objets perdus que j’aperçois en rêve.
    Je veux connaître l’histoire du décor planté devant moi, dans son enceinte de murs et de rues. Je veux apercevoir un paysage aux personnages absents. Tous les endroits qui me sont chers se peuplent de silhouettes disparues.
    J’ai besoin de savoir qui m’a précédé il y a des décennies, des siècles avant moi. Je veux tout savoir d’un lieu. Y passer ne me suffit pas. Y vivre non plus. Regarder, contempler bien sûr, mais je voudrais en plus sentir le fil du temps qui passe.
    Je voudrais pouvoir démonter le paysage pour voir de quoi il est fait.

    La trace humaine n’est pas aussi solide dans le temps qu’un bon relief avec une source et sa rivière mais, avec l’âge, le territoire se reconnaît en vous par des chemins de traverse. Quelque chose vous rejoint, vous ne savez pas quoi. C’est la trace ancienne de celles et ceux qui sont passés. Avec un peu de pratique, vous finirez par voir monter, comme de grands spectres géométriques, les anciens bâtiments disparus : châteaux, fermes, granges, maisons et manoirs.
    Au bout d’un moment, ce qui nous environne écoute et se tait. C’est à celui qui parlera le premier.

    Vivre dans la profondeur d’un lieu demande un travail de lenteur et d’érudition. Il faut marcher en cornant les rues, griffonner du regard sur les murs pour écrire en grand, comme les immenses lettrines des enseignes de magasin. Il faut surtout imaginer très fort, imaginer à s’en casser la tête. Il m’arrive de m’immobiliser en pleine rue. Alors les maisons bougent, les routes s’élargissent au passage d’une calèche, entre deux rangées de voitures mal garées. Les trottoirs s’effondrent sur eux-mêmes et je salis mes chaussures dans la boue des vieux caniveaux. J’avance comme ça, le regard absent et l’œil tout au passé.

    Ce qui n’est plus me paraît toujours actuel et en mouvement. Les lieux demandent à être lus du début à la fin. Il ne faut pas seulement les parcourir. Il faut les deviner, et plus on devine, plus on remonte le temps.
    Les oiseaux ont leur perchoir naturel, la branche d’un tilleul, le dossier d’une chaise de jardin. Le chevreuil choisit le tronc d’un arbre où retirer le velours de ses bois. Le chat des voisins a son chemin quotidien. Le faisan et la faisane ont fait leur nid par terre dans un fourré. Des lièvres ont établi un petit campement dans un pré où ils viennent s’accroupir le soir. Ils regardent de profil les alentours, puis déguerpissent en bondissant. Dans le ciel, la buse dessine un même cercle qu’elle fait passer et repasser dans ses plumes. L’été, elle s’accouple dans les airs en dessinant des arabesques. Tous ces animaux ont un lieu qui leur est propre. C’est là qu’ils méditent en pratiquant les rituels de leur existence. Je voudrais comme eux saisir le territoire.

 

        À suivre...

 

Volume horaire, juin 2024 (2/12)

  Quoi qu’on fasse, une journée ne compte que vingt-quatre heures. Les quatrains suivants s’en accommodent, tous écrits en vingt-quatre mots...